CHAOS CALME (1)

1507-1 Lundi 20 février 2017, midi trente. Mes nouvelles voisines de palier ont mis de la techno très fort, elles font ça le lundi matin, elles mettent de la techno très fort, dansent et crient cinq minutes, puis arrêtent. Ce ne sont pas des voisines gênantes, mais elles crient et dansent cinq minutes, le lundi, puis arrêtent. À chaque fois que je les croise je me retiens de demander : pourquoi cinq minutes, pourquoi le lundi, pourquoi de la techno ? Mais je ne demande rien, je crois que j’aime bien ne pas comprendre.

Dans exactement 11 semaines, 77 jours, nous serons le dimanche 7 mai 2017, nous aurons un nouveau président, et ce sera l’anniversaire de mon neveu. Drôle de cadeau, peut-être, pour un anniversaire. Mon neveu qui ne votera pas, m’a-t-il dit, qui est très en colère. Contre les hommes politiques, tous les hommes politiques, contre la société. À son âge, la vingtaine, moi aussi j’étais très en colère, contre les hommes politiques, tous les hommes politiques, contre la société, mais je votais à gauche. Mon père, lui, votait à droite, droite centriste, UDF, longtemps Barre puis Bayrou. Mais il n’a pas pardonné à Bayrou d’avoir appelé à voter Hollande. Bayrou, maintenant, c’est terminé, il ne faut plus lui parler de Bayrou, du moins quand on aime déjeuner le dimanche tranquille. Les autres de droite, Fillon, Macron, Dupont-Machin, la Le Stylo, il ne peut pas les blairer non plus. Calcul mathématique simple : deux votes en moins pour quelqu’un d’autre, deux votes en plus pour le FN. Tous ceux qui ne sont pas contre sont pour, comme disait mon Boris.

Tous ceux qui ne sont pas contre sont pour. J’ai dit ça, fort je crois, au dernier réveillon. Il y avait plein d’amis, nous parlions politique, le vote Le Pen/Fillon, le pire des votes possibles, annoncé à l’époque au second tour des élections, et les amis qui disaient non, plutôt crever, les amis de gauche, voter-Fillon-plutôt-crever ! Et à l’époque, en plus, il y a deux mois, il n’y avait pas l’affaire Fillon – une douzaine de votes contre Marine Le Pen en moins, une douzaine de votes pour Marine Le Pen en plus. Tous ceux qui ne sont pas contre sont pour.

BFMTV, par exemple, n’est pas contre, ne voit pas vraiment la différence. J’ai vu un reportage hier, très sympa, ils parlaient de la campagne de Fillon, le tractage sur les marchés, et tout se passait très bien, vraiment, nickel, pas de souci, les gens étaient très très sympas, plus personne ne parlait de Pénélope, du tout, il y avait ce journaliste en parka, rassuré, non non, vraiment, nous sommes passés à autre chose, la page est tournée, la campagne reprend, et puis il a rendu l’antenne à Florian Philippot, ou à Louis Aliot je ne sais plus. Peut-être Léon Gaultier.

Je me disais ça hier, ce serait drôle qu’une journée, toutes les chaines de télévision, tous les journaux, tous les sites, dans leurs reportages, leurs interviews, leurs articles, rajoutent “fondé par un Nazi français“, après “Front National“. Par exemple : « Bonjour, bienvenue sur BFMTV, où nous recevons ce matin Florian Philippot, vice-président du Front National, fondé par un Nazi français ». Ils pourraient même rajouter, juste une fois, pour rire : « Le dénommé Léon Gaultier, membre de la Waffen-SS, chroniqueur à Radio Vichy, fondateur de la Milice française, associé et ami de Jean-Marie Le Pen ». Florian Philippot, évidemment, s’offusquerait : le Front National de 1972 n’a plus rien à voir avec le Front National de 2017, enfin ! Alors les journalistes, les z’éditorialistes, ne faisant que leur travail, lui parleraient du GUD, d’Ordre Nouveau, du Bloc Identitaire, dont les anciens membres sont aujourd’hui à la tête du Front National, du Front National de 2017. Ils pourraient lui demander des comptes sur les enquêtes en cours, sur le micro-parti de Marine Le Pen, sur l’emprunt russe, sur la trésorerie de campagne, sur les attachés parlementaires, sur les élus condamnés, démissionnés, mis en examen – une fois de temps en temps, au moins, pour rire.

Il faut dire que cela fait quelques semaines, maintenant, que je suis en train de lire l’impressionnant ouvrage de l’historien Volker Ulrich, Adolf Hitler, une biographie, alors je bloque un peu. Le premier tome, L’Ascension, en deux volumes, publié chez Gallimard, fait 1.232 pages et s’arrête en 1939. C’est un livre qui secoue, qu’on ne lit pas de la même manière aujourd’hui, aujourd’hui lundi 20 février 2017, à 77 jours d’une élection présidentielle, avec un Front National (parti fondé par un Nazi français), annoncé par tous les sondeurs à 30% au premier tour, annoncé tranquillement, veux-je dire, chaos calme, comme le très beau roman de Sandro Veronesi, qui avait donné un film avec le grand Nanni Moretti, dont je me souviens plus très bien.

Parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands, NSDAP en v.o. Mai 1928 : 2,6%, septembre 1930 : 18,3%, novembre 1932 : 33,1%, mars 1933 : 43,9%, soit 288 députés au Reishtag, et hop.

Mais je bloque. En plus je n’ai rien contre BFMTV. Ils m’avaient gentiment invité lors de la “polémique” d’Un Français. Le journaliste, juste avant le direct, m’avait accueilli avec une franche accolade, il était très très fan de ce que j’écrivais dans 7 à Paris m’avait-il précisé, puis il m’avait interviewé, et m’avait réservé, à la fin, une petite surprise, un duplex avec Gilbert Collard, qu’il avait l’air de bien connaître : — Alors, mon Gigi, ce film-là, Un Français, vous en pensez quoi, vous, dîtes ? — Oh ben rien, mon Roro, les skinheads au Front National, penses-tu, c’est fini depuis longtemps mon biquet ! — Bien ce que je pensais, merci Gigi, merci Diastème, maintenant la météo et hop ! 

Pas de polémique. Ne pas bloquer sur BFMTV, ou Valeurs Actuelles, ou Rivarol, ou Le Figaro, beaucoup beaucoup beaucoup de journalistes font très bien leur travail, et ça doit être atroce en ce moment, pour ces autres, avec les pressions, les lignes éditoriales, les peurs, les insultes, les fake news de Donald, de Fifi, de Floflo. Comme ce journaliste de France Info qui m’a appelé tout à l’heure, pour me parler de la sortie du film de Lucas Belvaux, Chez Nous – que je n’ai pas encore vu, dont on me parle beaucoup. Dont je lis qu’il tente le même “plan-promo” qu’Un Français, ces histoires de salles qui déprogramment, de menaces : — Boh, penses-tu, portenawak, ce genre de méthodes, au Front National, c’est fini depuis longtemps mon chaton ! En plus nous, la Culture, on adore, regarde Franck Lapersonne, ça y est on en a un ! Deux avec Jean Roucas !

Parfois j’ai envie de hurler. Mais je me tais, ou je fais comme mes voisines, cinq minutes le lundi, mais sur du Clash plutôt. Surtout quand ces remarques proviennent de critiques-cinéma, pas de journalistes, des petits messages Facebook fielleux où on l’on nous traite, Lucas Belvaux et moi, implicitement de menteurs, ou des petits commentaires fin de sujets, des petites virgules : tout ça c’est du plan-média mon Roro ! Faire des films contre le Front National, quelle idée ! C’est pas que les salles les déprogramment, c’est qu’elles z’en ont rien à carrer ! Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? voilà ce que veulent les gens, voilà ce que veulent les salles, ou une bonne comédie sur les Roms qui nous fait bien poiler ! Comme Donald Trump, qui nous fait bien poiler ! Tu as vu ce qu’il a encore fait, ce con !?

Et puis il y a Kaurismaki. Qui a eu l’Ours d’Argent, hier, à Berlin. Et puis Félicité, le film d’Alain Gomis, Grand Prix du Jury. Alain Gomis que j’ai connu enfant, il devait avoir huit ou neuf ans, petit frère d’un de mes plus vieux amis, Patrice Gomis, dont je suis le parcours avec tendresse. L’Autre côté de l’espoir, c’est le titre du dernier film d’Aki Kaurismaki, un artiste, et un homme, que j’aime follement, qui redonne de l’espoir en l’Homme, ou du moins, comme il dit, d’un autre côté. Comme Alain et ses films, son magnifique L’Afrance

77 jours. Onze semaines.

Je ne voulais plus écrire de chroniques.

Et puis bon.

 

 

 

 


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1 commentaire

  1. Verdiani dit :

    Et puis t’as bien fait.

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