Les Châteaux de sable
Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à sa chaussure alors que c’est son pied le coupable.
Beckett a écrit ça, En attendant Godot. Je l’avais repris dans Une Scène.
Je trouve que c’est un temps à relire du Beckett, du Ionesco, du Camus. De l’absurde. Ou de la poésie, du Tomas Tranströmer, qui est parti hier.
J’ai retrouvé ce bout de chronique, inachevée, le concernant :
« Je vais vous raconter une histoire que je viens de découvrir. Elle concerne un auteur que j’aime énormément, dont j’ai déjà parlé ici – mais c’est une histoire que je ne connaissais pas. L’auteur dont il s’agit est Tomas Tranströmer, un poète suédois, qui a reçu le prix Nobel de littérature en 2011, qui est toujours vivant, qui a 82 ans aujourd’hui.
C’est un écrivain magnifique, considéré chez lui comme le plus grand de son époque, Victor Hugo local, dont je conseille plus que chaleureusement Baltiques, que Gallimard a publié en France.
Dans le film que nous avons écrit avec mon ami Olivier Jahan, et dont il vient d’achever le tournage, il y a d’ailleurs un de ses poèmes, Le Couple :
Les gestes de l’amour ont molli. Ils dorment , mais leurs pensées les plus intimes se rejoignent , comme deux couleurs se confondent , sur le papier mouillé d’une gouache d’écolier (…)
En 1990, Tomas Tranströmer a été victime d’une attaque, une attaque cérébrale. Par chance, quelques mois auparavant, il avait enregistré l’intégrale de ses textes, de sa voix, pour une radio je crois. Car cette attaque, conséquente, l’a laissé sans parole et la main droite paralysée. Or, il se trouve que Tomas Tranströmer, en plus d’être un très grand poète, était un très très grand pianiste. Un pianiste classique.
Pour ce qui est de la voix, il garde quelques mots et son épouse traduit. Ils sont mariés depuis cinquante ans. Quand il a reçu son prix Nobel, c’est elle qui a ouvert la porte aux caméras, aux journalistes. Des images existent, cherchez-les, elles sont belles. Ils vivent dans un immeuble, pas très spectaculaire, de côté de Stockholm.
Pour ce qui est de la main, voilà ce qui s’est passé. L’attaque de Tranströmer fit la une des journaux, et son état de santé, étalé au 20h, émut ceux qui l’aimaient. Quand on annonça que le grand homme avait perdu l’usage de sa main droite, les plus grands compositeurs suédois, spontanément, sans se concerter, lui écrivirent chacun un concerto pour la main gauche. Qu’ils lui dédièrent, lui envoyèrent, et qu’aujourd’hui il joue. Admirablement. »
Le temps a passé depuis cette chronique, depuis ma dernière chronique, il y a beaucoup à raconter, mais le film d’Olivier, Les Châteaux de sable, dont je suis si fier, sort mercredi prochain, le 1er avril, et, par un sale hasard, Tranströmer est parti hier.
Ce soir, nous sommes allés avec Christophe, Sylvie et Paulette découvrir le Philarmonique. C’est un endroit magnifique, le son est magnifique, l’orchestre était superbe (c’était celui de Lyon). Nous avons écouté du Gershwin, du Barber, et du Maurice Ravel.
Ravel, qui écrivit un concerto pour la main gauche, à l’attention d’un très grand concertiste qui avait perdu son bras droit à la guerre de 14.
Ravel, dont le Blues figure en générique de fin de mon film Un Français.
Des films se tournent, des poètes meurent, des avions tombent et des gens votent.
Des choses se font, puis se défont, puis se refont.
Je chante la petite guerre / Des braves enfants de naguère / Qui sur la plage ont bataillé
Ecoutez Les Châteaux de sable, allez voir le film d’Olivier, allez voir Emma et Jeanne, Yannick, Christine, allez voir ces gens que j’adore.
Et lisez Tomas Tranströmer.
ADDENDUM/ Simplement le plaisir, de réécrire ce mot, addendum.
Bonjour,
Tout d’abord, merci de partager cet amour pour la poésie de Tomas Tranströmer.
Je voudrais juste vous faire remarquer que l’éditeur français des Œuvres complètes de Tomas Tranströmer est Le Castor Astral et non les éditions Gallimard (qui ne sont autorisées qu’à le publier en collection de poche). Vous comprendrez qu’il est un peu contrariant pour un petit éditeur indépendant de ne pas être cité en pareil cas.
Sinon, bravo pour votre travail ! Bien amicalement. JYR
Je connais, et suis, depuis longtemps, Le Castor Astral. Donc, vraiment, pardonnez-moi pour cet oubli.