Ménage
J’ai eu un étrange problème, tout à l’heure, avec mon ordinateur. Je ne sais pas ce qui s’est passé : tout est devenu tout noir, plus rien ne marchait, et puis soudain tout est revenu. Je me suis subitement rendu compte que cela faisait quelques années que je n’avais rien rangé, que je ne sauvegardais plus, que je pouvais tout perdre. Très méthodiquement, alors, je me suis lancé dans un grand ménage de printemps.
Il y a un certain temps j’avais créé des cases sur une espèce de disque dur, procédé à une sorte de rangement. J’ai réouvert ce disque dur, et complété les cases. Théâtre, Livres, Scénarios, Divers, En cours / Projets Théâtre, Projets Livres, Projets Scénarios, Projets Divers, En cours. J’ai sauvegardé mes machins dans ces trucs, tout patiemment copié, espérant que ce disque dur ne me lâche pas, que l’appartement ne prenne pas feu, ou ne soit pas cambriolé, me disant qu’il faudrait peut-être, un jour, pour plus de sécurité, mettre ces copies sur un CD, ou bien sur DVD, les laisser à quelqu’un, ailleurs que chez moi, comme ce double de mes clés que j’ai fini, enfin, par ne plus laisser chez moi, donner à quelqu’un de cher.
Le travail accompli j’étais assez content, puis j’ai fait cette erreur – je suis allé ouvrir tous ces vieux documents, ces précédents dossiers, toutes ces choses très anciennes. Je me suis rendu compte, alors, qu’ouvrir un vieux document était comme regarder de vieilles photos. Il y avait la surprise de la redécouverte, et puis la nostalgie, le temps passé, parfois la honte, souvent l’oubli. Car, la plupart du temps, je ne me souvenais pas.
Je ne me souvenais pas avoir écrit, par exemple, un papier sur Salma Hayek pour “L’Événement du Jeudi”, le 8 février 1999, à 20h40, qui commençait ainsi :
“La première fois que j’ai vu Salma Hayek, elle ne portait pas de culotte. Du moins c’est ce que la rumeur prétendait dans les couloirs de cette villa cannoise où elle était venue se faire photographier pour un magazine dont le papier glacé commençait à fondre à vue d’oeil. La séance avait lieu dans la chambre que j’occupais, et je me découvris, cette après-midi là, un grand nombre d’amis, pressés de me trouver illico pour m’emprunter disons une gomme. La deuxième fois que j’ai vu Salma Hayek, elle m’a demandé de lui passer le sel. C’était un an plus tard et mon nom dans sa bouche, qu’elle tournait dans sa langue, sonnait vraiment des plus sexy; amphigourique, oui, mais sexy. Nous avons parlé anchoïade, je crois que j’ai eu une érection.”
Pour tout vous avouer, le papier m’a fait rire, et je me suis rappelé cette histoire, pour la première fois en treize ans. Je me suis rappelé de Salma Hayek, de cette soirée à Cannes, d’elle et de Valeria Golino – ça je ne raconterai pas, n’insistez pas, c’est non.
J’ai continué à ouvrir. Je suis tombé sur des choses étranges, vraiment. Des débuts de pièces, des débuts de romans. De scènes que j’avais écrites pour Damien, par exemple, pour une mise en scène qu’il faisait, un concours de Conservatoire je crois.
– Vous avez l’heure ?
– Oui.
– Vous pouvez me la donner ?
– Non. (un temps) Je ne vois pas pourquoi je vous donnerais quelque chose, on ne se connaît pas.
– Non mais je ne vous demande rien, juste l’heure.
– L’heure, ce n’est pas rien.
– Donnez-moi l’heure, enfin, ne soyez pas ridicule !
– Mais non… Non ! Je ne vous donnerai rien, je viens de vous le dire.
– OK. Alors vendez-la moi !
– L’heure ?
– Oui, l’heure ! 50 centimes, ça va ?
– (un temps, puis) Six heures et demi.
– Merci. (il lui donne la pièce, sort)
La suite était à l’avenant, cela revenait en boucle, des gens qui demandaient l’heure, à d’autres gens, qui refusaient de la leur donner. Et j’avais oublié.
Je me suis dit, un moment, que mettre ces textes sur ce blog était une bonne idée, une bonne idée de sauvegarde. Puis mon instinct grégaire a repris le dessus : rien n’est jamais perdu, rien ne reste jamais dans un tiroir. “La Nuit du thermomètre” est restée quelques années dans un tiroir avant de devenir une pièce. Je n’ai pas eu à m’en plaindre. Et d’autres choses aussi.
“Il ne te resterait pas une pièce dans un tiroir ?” m’a-t-on ainsi demandé tout à l’heure. Pour dire la vérité il ne m’en reste qu’une, “Hammam”, que je monterai, si tout va bien, après “Joli Joli”, mais sinon non, rien, quelques débuts, quelques projets, rien de lisible. Et cela m’inquiète un peu.
Pour tout vous dire, j’adore avoir des choses en rab. Des scénarios, des romans, des chansons, des poèmes. C’est assez rassurant, se dire que le jour où l’on deviendra sec – qu’à Dieu ne plaise, comme disait ma grand-mère – on ne le sera pas tout à fait. C’est Aki Kaurismäki qui m’avait traumatisé avec ça, en m’expliquant sa théorie, et en me resservant de la vodka, oui – théorie qui disait qu’un “artiste” savait très bien quand il avait tout dit, quand il était sec, mais qu’il ne pouvait pas non plus s’allonger par terre et attendre la mort, donc qu’il continuait à faire, ou plutôt à refaire, la seule chose qu’il savait faire, et que ce n’était pas bien. J’étais tout jeune, et assez saoul – c’est bien plus tard que j’ai compris, que ce salopiot avait raison. Et c’est gravé en moi à jamais.
Je ne sais pas pourquoi je parle de ça, j’étais sur le ménage, j’étais sur le printemps.
Être en ménage, faire le ménage.
Faire le printemps.
ADDENDUM/ Non.
Le mieux c’est peut-être de ne pas porter de montre. Quand quelqu’un me demande de lui donner l’heure, je m’associe à lui pour la deviner. C’est gratuit, ludique et collaboratif.
Non, ce n’est pas le coeur de ton post, mais c’est dimanche et j’ai deviné qu’il était aux environs de 6h30.
J’kiffe tes posts.
Moi aussi j’ai fait le ménage… Souvenirs, souvenirs : http://thisisthemodernworld.tumblr.com/#19524701197
1. Faire bon ménage.
2. Ménager la chèvre et le chou.
3. Scène de ménage.
« Maudit Ménage » (Philippe Djian 1986).