Michael
Michael a 75 ans, il marche avec une canne, s’exprime difficilement depuis qu’il a fait une attaque cérébrale. Une amie, qui réalise un documentaire sur lui, me l’a présenté à Cannes, samedi dernier. Cela faisait longtemps qu’elle m’en parlait, j’étais content de le rencontrer, enfin, en vrai.
Michael, il y a trente ou quarante ans, était le roi du monde. Il était producteur. “The Rocky Horror Picture Show”, c’est lui. “Monty Python and the Holy Grail”, c’est lui. “My dinner with André”, c’est lui. Je ne vous fais pas la liste, nous y serions encore demain. Ses amis s’appellent Jack Nicholson, Michael Douglas, Al Pacino, Hugh Grant. Il y a encore dix ans, il sortait avec Kate Moss. Depuis il a fait une attaque, donc, et une banqueroute aussi. Tous ses biens ont été vendus, toutes ses lettres, ses souvenirs. Quand il descend à Cannes, on l’invite à l’Eden Roc, ou sur le yacht de son pote Mick Jagger, mais c’est mon amie qui paie l’essence, le restaurant, les clopes. Elle fait ça discrètement, sans qu’il s’en aperçoive, pour ne pas l’humilier.
Tout à l’heure, elle m’a raconté que, pour son documentaire, elle avait filmé son répertoire. Les trois-quarts des noms étaient barrés, proprement, à la règle. Dès qu’un ami mourrait il barrait. Et ses amis mourraient. L’âge, l’alcool, la défonce. Il connaît ça, Michael, il n’a pas peur. Si quelqu’un lui propose une ligne, même aujourd’hui, il ne va pas faire le bégueule. Qu’est-ce qui lui reste à perdre, de toute façon ?
Michael a produit quelques films, et quatre-vingt pièces de théâtre à Londres (“Le Limier”, “Saturday night and Sunday morning”, “Oh ! Calcutta”, en guise d’exemples). Des succès immenses, des pièces qu’il a créées et qui se joueront encore longtemps. C’est la vie. Les films ou les pièces resteront, lui pas. Personne n’est immortel.
Je ne connais pas sa vie privée, sinon quelques détails, je ne sais plus s’il a des enfants – je crois. Je sais juste que cet homme s’amuse, essaie de s’amuser encore, avec le peu de forces qui lui restent. Quand je l’ai salué dans cette fête il était magnifique. Il a dû être un très bel homme. Et aujourd’hui encore, malgré son état, il est vraiment très classe, très beau.
Je ne sais pas pourquoi Michael me touche autant. Nous n’avons pas les mêmes vies, le même âge, les mêmes valeurs, les mêmes souvenirs, les mêmes succès. Je sais que je vais mourir aussi, par contre, en revanche, je sais que le temps nous est compté. Je sais que le temps perdu ne se rattrape pas. Je sais que produire des pièces, écrire des films ou des romans, mettre en scène des spectacles, ce n’est pas ça la vie, ce n’en est qu’une partie, pas la plus importante. Je ne veux pas, quand je mourrai, n’être fier ou content que de ce que j’ai pu faire, écrire, réaliser, mettre en scène. Du travail ça s’appelle, même dans nos beaux métiers. Il y a quelques années cela m’aurait suffi, maintenant c’est terminé, maintenant je n’y crois plus, que cela marche ou pas. La vie m’importe autant que l’art – sans doute est-ce pour cela que je les mélange à ce point. Mais c’est la vie qui gagne. J’ai mis du temps à l’admettre, mais maintenant j’en suis convaincu.
Michael va vivre encore dix ans, vingt ans, trente ans, Michael sera un sublime centenaire. Michael ne produira plus rien, c’est vrai, et il biffera nombre d’amis, mais Michael s’amusera encore. Longtemps.
“Du chaos naissent les étoiles”, vous savez ça très bien. Il ne faut jamais l’oublier.
ADDENDUM/ Je commence à lire des choses méchantes dans les commentaires de ce blog – hésité à virer, finalement laissé. Mon Guy m’avait prévenu, c’est le signe du succès ! D’un côté je suis très content, d’un autre fait chier, quoi, pas envie, pas ici, pas là. Le monde est assez de brutes comme ça. Ce blog est gratuit, il est offert, c’est cadeau. Personne ne vous force à le lire. Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas ce blog, allez vous faire foutre. Il y a trois milliards d’autres choses à lire, personne ne vous oblige. Et si je ne commente pas les commentaires – règle que je me suis fixée mais que je peux changer, aussi, évidemment, je les lis tous, et ils me touchent, ou me font rire, réfléchir – j’ai cet espace pour commenter. Je vous souhaite un bon weekend, camarades.
quelqu’un qui a produit “Monty Python and the Holy Grail” est quelqu’un à qui je suis reconnaissante
Tiens, je me suis dit exactement la même chose que toi, mais va te faire foutre Benoit Tramet!
Il est beau ce billet, j’aime beaucoup le passage sur le travail, la vie qui gagne, et oui… Surprise de lire ça chez toi, je ne sais pas pourquoi.
Je te lisais quand j’avais 15 ans, ne comprenais pas tout mais riais quand même. Heureuse aujourd’hui de pouvoir continuer à lire la même générosité, le même esprit bordélique, son humour et ses colères… du vivant, quoi ! (enfin)
Moi, il n’y a qu’un truc qui me gène, c’est la photo … j’ai l’impression que c’est Florent Pagny qui tient ce blog !