La Paix dans le monde (5)

Je n’étais pas “retourné” au théâtre depuis sept ans, je n’étais pas revenu à Avignon depuis sept ans, tout du moins avec un spectacle – même si une partie de moi vient de là : six pièces créées ici, quand même, dans différents théâtres, et puis LE BRUIT DES GENS AUTOUR, mon premier film, dont je suis si fier, et qui reste toujours, à ce jour, le seul film de cinéma à parler du Festival d’Avignon.
“Retourner” au théâtre, revenir à Avignon, me faisait un peu peur. Je ne savais pas si la magie opérerait à nouveau, si j’aimerais autant ça…
Je dois me rendre à l’évidence : le Festival d’Avignon n’est plus exactement celui que j’ai connu, et si follement aimé, il y a quinze ou seize ans, quand nous avons fait 107 ANS avec Fred, ou LA TOUR DE PISE avec Jeanne, et même il y a onze ans, quand nous jouions LES JUSTES au Chêne, et que LE BRUIT était projeté dans le in, dans ce sublime Cloître des Célestins, un des plus beaux lieux d’Avignon à mon sens, où nous avons tourné avec Léa et Olivier, fermé depuis quelques années…
À l’époque, les restaurants ne viraient pas les clients à minuit et demi, et aucun bar ne cessait de servir à deux heures. Tout le monde pouvait rentrer partout, il n’y avait pas besoin de cartes, de badges, de pass, c’était le contraire de Cannes – ce qui me plaisait tant ; les soirées se finissaient à six heures du matin, et tous se retrouvaient – in et off confondus – à l’ouverture des Halles, pour un sandwich à l’entrecôte…
Ce n’est clairement plus aussi joyeux, ouvert, bordélique, libertaire… Tout est devenu bien trop cadré, mercantile, attendu, amateur, 1600 et quelques spectacles, de moins en moins de spectateurs, un accueil des festivaliers qui n’a rien de fabuleux, une espèce de “marché de la pièce”, comme un “marché de la viande” – qui existait déjà, je ne suis pas dupe, j’y ai “vendu” beaucoup de pièces moi aussi, bien sûr, mais ça se voyait moins, c’était plus délicat, artistique, les gens savaient ce qu’était le théâtre, et là je n’en suis pas si sûr.
Je parle ici du off, mais le in c’est pareil, “les costumes en lin blanc qui chient sur tout le monde et veulent sauver l’humanité”, comme m’a dit hier une amie comédienne – qui joue dans le in, qui sait de quoi elle parle…
Caricatures en in, caricatures en off. Beaucoup de médiocrité. Mais beaucoup de beauté, aussi. Partout.
Je ne peux pas me plaindre, et je garde l’espoir. Je suis sûr que dans quelques années le Festival d’Avignon redeviendra celui que j’ai eu la chance de connaître quelques temps. Cela reviendra forcément. Et de mon petit point de vue, ce que nous vivons depuis dix jours est assez fabuleux. Et je ne vais parler maintenant que de théâtre. Pas de médiocrité, in ou off, de théâtre. De mon travail : soit ce qui se passe entre le moment où cela s’éteint et celui où cela se rallume – le reste, en fait, m’intéresse peu.
Je suis extrêmement fier de notre spectacle. C’était très compliqué à monter, évidemment, surtout dans ces conditions, mais nous y sommes arrivés – et tout se passe incroyablement bien. C’est le spectacle que nous voulions, celui que nous avons imaginé, avec le décor absolument formidable d’Alban, les costumes parfaits de Fred, la musique tellement émouvante de Bruno, dit Cali, les lumières sublimes de Stéphane, et les images exceptionnelles – et quand je dis “exceptionnelles”, je dis “exceptionnelles”, de Vanessa. Evidemment Emma, sans trop vous dévoiler, évidemment Emma. Et évidemment mon Mathieu, dit Tioum, sans qui rien, depuis tellement d’années… Qui a fait tous les postes avec moi, et qui m’est nécessaire. Et Frédéric Andrau. Mais qu’en dire ? Peut-être juste son nom, écrit le plus gros possible : FRÉDÉRIC ANDRAU. Il a joué dans mon premier (et seul) court-métrage, il y a presque vingt ans. Nous avons fait cinq pièces ensemble. Il est dans tous mes films. Et hier, à 14h, pour la neuvième de ce spectacle, et la je-ne-sais-pas-combientième-de-centaines-de-représentations qu’il a joué de mes pièces, il m’a fait monter les larmes aux yeux.
Rien ne remplacera jamais cela. Rien n’est plus vrai, plus beau, plus humain, que cela.
Ça s’appelle le théâtre, c’est chez moi. On ne “retourne” pas chez soi, on y habite.
Ma pièce s’appelle LA PAIX DANS LE MONDE.
Et putain, mais vraiment – pardon, putain, mais oui : je suis fier d’y être “retourné”.

© Photo Mathieu Morelle


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