Star Wars

J’ai vu le premier Star Wars dans un drive-in du New Jersey, je devais avoir dix ou onze ans. J’étais dans une voiture américaine somptueuse, une Cadillac, décapotable, avec à mes côtés, à l’arrière, une petite camarade un peu plus vieille que moi, américaine, et très jolie, la fille des gens qui m’hébergeaient. Il faisait nuit, il faisait chaud, il y a avait sans doute du pop-corn, et cette boisson un peu chelou que je n’ai jamais rebu depuis, de la Root Beer.

Je me souviens m’être dit, à ce moment précis, à quel point j’étais chanceux de pouvoir vivre ça, moi qui ne venais de nulle part, moi qui n’étais personne, un petit gamin de banlieue, de vivre ce “rêve américain”, à un aussi jeune âge, et de voir ce film qui n’était pas, je crois, encore sorti en France, prédit à un si grand avenir, énorme succès là-bas.

À dix ou onze ans je lisais, j’aimais lire – gamin de banlieue précoce, et je chantais, surtout. Et j’étais d’ailleurs là, aux États-Unis, pour chanter – de la musique classique, Mozart, Bach ou Fauré, et La Marsellaise à quatre voix en rappel, dans la version de Berlioz – ça les Américains adoraient ! Mais je ne voyais pas beaucoup de films, je n’avais pas le temps, le cinéma ne m’intéressait pas tellement, je préférais de très très loin la musique – et la littérature. Et puis j’ai vu Star Wars. Que j’ai trouvé tellement mauvais, et tellement… ridicule…

Le film m’a tellement énervé que je n’ai même pas eu envie d’embrasser ma petite camarade à côté, qui peut-être n’attendait que cela… Le petit chanteur français, là juste pour quelques nuits… Je me souviens avoir dormi sur un trampoline avec elle, après le film, dans le jardin familial – encouragé en cela par ses parents catholiques intégristes, j’en rigole aujourd’hui, c’est étrange – et je me souviens qu’elle était très gentille, cette gamine, sans doute voulait-elle que je l’embrasse, mais moi je ne repensais qu’à cette connerie de film… Qui m’avait énervé… Mais quelle connerie, ce film !

Quand je suis rentré en France, en septembre, après cette tournée – sans l’avoir embrassée, mais en en ayant embrassé une autre, quelques jours plus tard, à Montréal, et pour la première fois peut-être, je me suis inscrit à la Cinémathèque de Courbevoie, La Lanterne. Des amis de la chorale, beaucoup plus vieux que moi, m’avaient appris que le cinéma, non, ce n’était pas que Star Wars, c’était bien plus que ça, ça pouvait être de l’Art, comme la musique classique, comme la littérature

J’apprends ce matin qu’un Star Wars 9 sortira dans les salles en décembre – et que six autres suivront.

J’ai dû voir trois ou quatre bouts des sept autres, en me forçant un peu, mais aucun en entier. Parfois, quand j’ai trop bu, je dis que Star Wars est le film qui a fait le plus de mal à toute l’histoire du cinéma – toutes ces conneries derrière, tout ce “merchandising”, le pognon aux conneries, Avengers et machins, plus jamais rien pour l’Art, juste pour le commerce. La fin du cinéma.

Mais je dis beaucoup de conneries. Surtout quand j’ai trop bu.

Je ne sais pas si, vraiment, le succès de Star Wars a tué le cinéma – certains le pensent, moi je ne sais pas, et je m’en fous, je crois, vraiment.

Mais je sais que si je n’avais pas vu Star Wars à dix ans, si ce film ne m’avait pas autant énervé, je n’aurais jamais fait de cinéma. Je n’aurais pas adoré le cinéma.

C’est ce que j’aime dans la vie, l’absurde. Ne pas partir d’une révélation, mais parfois d’une révolte, d’un contraire, pour finir par un amour fou.

J’aime follement le cinéma. En faire, en regarder. Même si mon avis est cinglant, même si je n’aime pas beaucoup de films, même si que je ne suis pas très très bon camarade – comme je n’étais pas un très gentil critique, en des temps éloignés. Je ne sais pas mentir, pas dans ce domaine du moins – mais ça ne ne regarde que moi, je n’écris plus de mal des films, et ce n’est que mon avis.

Mais je suis toujours ce gamin, je crois, qui découvre Star Wars, dans un drive-in du New Jersey, et qui, vraiment, trouve ça affreux.


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