Toutes les choses importantes sont bleues
Qu’y a-t-il de vraiment important dans une journée ? Quelles sont les heures, les minutes, les secondes, qui ont une importance ? Et quel est le temps perdu, celui qui ne sert à rien, qu’on ne retrouvera pas ?
Cela n’a pas besoin d’être forcément nécessaire, spectaculaire, inouï. Jouer avec un chat, oui, ça c’est important, préparer à dîner pour des personnes qu’on aime, lire des histoires à des enfants, penser à son amoureuse, se demander où elle est, ce qu’elle fait, envoyer des mots doux, même des mots ridicules, idiots, écrire une petite chose pour faire rire un ami, travailler quand on aime son travail, s’appliquer, faire au mieux, jouer aux cartes (canasta ou tarot, pas poker, pas d’argent), regarder un bon film, écouter un bon disque, lire une belle chose, évidemment, belle et intelligente, voir une belle pièce, belle et intelligente, qui nous élève, jouir et faire jouir, faire un bon feu, se battre, être en colère, boire un cognac, regarder une image, un tableau, un monochrome d’Yves Klein, comme cet après-midi de décembre 2001 où je l’ai découvert, dans le musée en face du CDN de Nice où nous jouions La Nuit du thermomètre, un monochrome, une toile toute bleue, qu’y avait-il de plus bête, n’importe quel andouille avec un bon rouleau, et puis j’ai vu la toile, et puis j’ai vu ce bleu.
Toutes les choses importantes sont bleues.
La terre est bleue comme une orange / Jamais une erreur les mots ne mentent pas / Ils ne vous donnent plus à chanter / Au tour des baisers de s’entendre / Les fous et les amours / Elle sa bouche d’alliance / Tous les secrets tous les sourires / Et quels vêtements d’indulgence / À la croire toute nue
Je connais ça encore par cœur, Eluard, L’amour la poésie, 1929. Je connaissais par cœur mais je ne comprenais pas, je trouvais ça beau, mais sans comprendre. Maintenant je comprends tout, il m’a fallu du temps.
Bleu notes, bleu jean, bleu velours. Bleu ficelle, bleu fumée, bleu vin.
Blue moon / you saw me standing alone / without a dream in my heart / without a love on my own
Le monde est gris, le monde est bleu.
Bleu comme toi.
Le bleu nuit des couvertures Stock, la gentillesse de Jean-Marc Roberts, son goût des blagues, son sourire enfantin.
Le temps que je n’ai pas pris à l’appeler ne se retrouvera pas. Cette minute que j’aurais dû prendre. Cette minute bleue.
Cette lecture de Fille/Mère qu’Edy m’avait demandé de venir lui faire en septembre au Tristan, parce qu’il ne pouvait pas venir à Avignon. Une pièce qu’il ne verra donc jamais lui non plus.
Je pense à cette veste bleue qu’il mettait aux premières, dont le cachemire boulochait un peu, et cette photo de nous trois, avec Fred, dans son petit bureau.
Le bleu est rare et toujours cher, entouré de secrets. Le cyan couleur primaire, la “synthèse soustractive”.
Bleu roi, bleu égyptien, bleu de Prusse, bleu de Klein. Bleu outremer. Bleu bite.
Bleu chandail, des dentelles aux épaules.
L’indigotier est un arbuste pouvant atteindre un mètre vingt, de la famille des Fabacées. En Chine, on utilise ses feuilles et ses racines pour lutter contre la fièvre. Les touaregs portent son bleu pour effrayer leurs ennemis.
Le bleu effraie les ennemis.
Le bleu est rare et toujours cher.
Qu’y a-t-il de vraiment important dans une journée ? Quelles sont les heures, les minutes, les secondes, qui ont une importance ? Et quel est le temps perdu, celui qui ne sert à rien, qu’on ne retrouvera pas ?
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