Premier baiser
J’en ai parlé tout à l’heure à Julien, après que cet andouille m’a serré la main pour me dire au revoir, le genre de choses qui lui le fait rire.
Julien, que j’ai connu adolescent, et maintenant que je mets en scène, dont je suis tellement fier, à qui je n’avais jamais serré la main.
Je lui ai brièvement dit ça, tandis que ses amis l’attendaient, qu’il avait très peu de temps, je lui ai dit qu’un jour j’écrirai un long texte sur ce thème du baiser ou du serrage de main, je lui ai dit que ce serait un texte qui parlerait football, et donc qui lui plairait.
Bien… Alors ! Que me vaut le plaisir de cette visite ? J’adore cette réplique, je peux la répéter ? – Mais faîtes donc ! – Bien… Alors ! Qu’ai-je donc à dire sur ce sujet ?
Quand j’étais tout petit, on se serrait la main. C’était les années soixante-dix, la banlieue. Même avec ses meilleurs amis on se serrait la main – je parle entre garçons, nous embrassions les filles. J’ai serré la main de mes amis jusqu’à tard au collège, les années quatre-vingt. Personne ne s’embrassait, cela ne se faisait pas. Les garçons se serraient la main, ou se pseudo-checkaient, comme nous le faisions avec ma bande, mais nous n’embrassions pas.
Un jour, et je me souviens exactement du lieu, c’était au bar-tabac de la gare de Bois-Colombes, je ne sais pas ce qui m’a pris mais, tandis que ma bande se séparait, je crois les avoir embrassés tous pour leur dire au revoir, avoir lancé cette mode. Il y avait là Marco, Eric, le Drab, Alex, Mathieu. J’ai instauré ce geste, tellement naturellement, qui ne surprît personne – nous nous sommes embrassés pour nous dire au revoir, au lieu de se checker, de se serrer la main, nous nous fîmes des bisous.
Cet événement fit date. Le lendemain matin, sans seconde d’embarras, nous nous sommes embrassés, devant l’école, devant tout le monde, et la mode fut lancée. Nul ne s’embrassait à l’époque, à l’école, à part nous. Et cela a perduré, dans les autres écoles, les universités, et l’époque avançait, les garçons s’embrassaient – se faisaient la bise disons.
Depuis j’embrasse très facilement – contrairement à Julien, qui aime serrer la main et qui aime vouvoyer. Je ne sais pas pourquoi, quand une personne me plaît, et quel que soit son sexe, naturellement je lui fais la bise, même si je la connais très peu. J’essaie de me contenir, j’essaie de vouvoyer, serrer la main – mais quand je continue de serrer la main d’une personne que je commence à bien connaître, c’est que je n’aime pas beaucoup cette personne – et via ce blog, au moins, elle le saura.
Par contre, vouvoyer, ça j’aime bien.
Il y a cinq ou six jours j’ai rencontré une comédienne, assez jeune, très brillante, avec qui je discutais, très agréablement, tout en la vouvoyant – alors que j’étais son ainé de presque vingt années. À un moment de la discussion, elle m’a demandé si cela m’embêtait que nous nous tutoyâmes. Je lui dis non, évidemment, et nous nous tutoyâmes, Mais j’aimais bien la vouvoyer.
Le football – sans transition – c’est différent, et pourtant la même chose, et à la même période.
J’ai grandi en face du stade de Colombes – le stade Yves du Manoir, oui ; j’ai supporté le Racing, j’y ai joué d’ailleurs. Je ne marquais pas beaucoup mais je me souviens très bien – on ne se sautait pas dessus, à l’époque, on ne se partouzait pas sur la pelouse, on ne se claquait pas des bisous sur la crâne, sur le front, sur la joue, quand l’un des nôtres marquait un but. On se tapait dans la main, ou on se tapait dans le dos. Regardez les images, vous serez sidérés. Les célébrations de but, aujourd’hui et hier. Et même en Coupe du Monde, même les buts importants.
Jusqu’à la fin des années quatre-vingt les footballeurs ne s’embrassaient pas, au risque d’être traités de pédés. Aujourd’hui ils s’embrassent, oui, se partouzent, se frottent les fesses, les cheveux, les jambes, mais détestent qu’on les traite de pédés. Même s’ils le sont. Milieu homophobe s’il en est : le football. Homophobe et homosexuel à la fois, milieu mal dans sa peau, hypocrite et menteur, assez peu ragoutant, milieu qui fait de la peine.
Je pensais naïvement que les mentalités, au moins dans ce domaine, pourraient évoluer à l’aune de ces bisous, de ces partouzes publiques que l’on nous sert dorénavant à la moindre ouverture du score, au moindre but raccroc. Mais il n’en fut que dalle. Et nul n’y fait son coming-out, sans peine d’être lynché. Mentalité ignoble.
Ai dit très récemment – hier soir, pour être juste, à Valentine et Alex, qu’il faudrait que je parle de ce député du nord, Christian Vanneste, et de ses propos, de gros con, condamnés au mauvais endroit.
Mais je n’ai plus très envie. Et un gros con en moins, quel qu’il soit, homophobe, c’est toujours ça de gagné.
Sans doute y reviendrai-je, ce cas est intéressant. Mais là il se fait tard, et je suis déjà long. Bavard.
Je vous embrasse, camarades.
ADDENDUM/ Venez finir le mois avec nous et UNE SCÈNE. On est heureux, cela se passe bien, critiques démentes, public ravi. C’est beau une pièce qui se passe bien, c’est tellement rare. Nous la rejouerons plus tard, ailleurs, nous aurons des dates de tournée, mais nous sommes encore là, heureux, au Ciné 13 jusqu’au 3 mars. Venez. Buvons des coups. Faisons-nous des bisous. Soyons cons comme des bites.
Très en forme!
Toulouse ?
J’avais envie de dire quelque chose mais j’ai, comment dire, scotché sur la photo de Laura Elena Harring. (et peut-être un jour aurais-je l’occasion de remettre enfin les pieds au théâtre pour une de vos pièces, ce serait chouette).
Hier, journée porte ouverte du tout nouveau tout beau tout premier centre LGBT à Toulouse.
Discours du maire, allusion à ce gros con de Vanneste, et une phrase pas méchante en plus, un simple constat, et la salle a ri .
J’aurais pas parié qu’une salle rirait de ce gros con, alors qu’il provoque la réaction opposée.
« on a commencé à en rire, pour la première fois, enfin »
Je suis venue voir Une scène. J’ai beaucoup (beaucoup) aimé. Quel joli texte. Je vous ai vu mais je n’ai pas osé venir vous faire un bisou, moi qui ne vous connais pas. Je vous en fais un virtuel ce soir accompagné d’un grand Bravo.