Rue des petits hôtels

J’ai appris tout à l’heure que l’affreuse publicité bleue pour une marque de parfum ‑ Chanel je crois ‑ avec Gaspar Ulliel et des parois qui tombent, avait été réalisée par Martin Scorsese. J’ai appris également que des gens comme Cédric Klapish ou Jacques Audiard en réalisaient plein, des publicités, et des assez pourries d’ailleurs.

J’adore ce monde.

Mais je suis arrivé fatigué à ce dîner, aussi, préoccupé, avec un nœud dans le ventre. Période très riche, et compliquée.

Nous nous sommes racontés plein d’histoires, ce soir, des très bonnes, des choses évidemment inracontables, mettant en scène des gens vraiment médiocres, dégueulasses, très connus, dans le milieu de l’édition notamment, que je ne peux malheureusement pas raconter. Pourtant ce serait tellement plaisant, enfin écrire vraiment les choses – même si ce n’est pas du tout poli, incorrect, dégueulasse. Balancer les salauds, les merdeux, les horribles. Je ne balance pas, mais je les connais, j’ai les noms, les histoires. Les miennes et celles de quelques autres.

Un jour, peut-être, se défouler, écrire vraiment la vérité…

À un moment, une de mes meilleures amies a dit une phrase qui m’a troublé : “Et ce n’est pas une question de morale, elle a dit. On s’en fout de la morale !” C’était une drôle de phrase, que j’ai prononcée déjà, tellement souvent. Pourquoi n’étais-je pas d’accord avec elle, ce soir, pourquoi n’étais-je pas d’accord avec moi ? Ce soir, vraiment, je pensais :“Si, c’est une question de morale…” – et là m’est venue en tête la couverture de Libé avec le visage de Nicolas Sarkozy, et ce titre, “Le Réac”, un sentiment tellement “réac”…

Mais j’en ai beaucoup des histoires… Tous les jours en ce moment, je ferais quatre feuillets sur chacune si je pouvais, des bonnes histoires, et simplement pour balancer, oui, pour dire comment les choses se passent, dans ces milieux bien sûr, mais dans la vie aussi… Les saloperies, les enculeries, les bêtes et les méchants autour, les connards, les teubés, les aveugles ou les sourds.

Mais évidemment non.

Je me suis soudain senti si vieux, si vous saviez…

Trop pas jeune, trop pas dingue, trop pas ouf. Trop pas le mec qu’en a rien à foutre.

La morale, oui. Ma morale.

Je me souviens qu’il y a quelques années, un critique m’avait traité de “moraliste”, je l’avais vraiment mal pris – pourtant sa critique était bonne. Et en fait il avait raison. J’ai un avis sur la morale, oui. J’en ai une. Et plus les années passent, et plus cela m’importe. Plus je me rends compte que la vie est très brève, et que la seule chose qui compte est la trace que l’on laisse, et l’amour que l’on donne. Pas dans l’art, non, pas seulement, dans la vie, être la meilleure personne possible, ne pas refaire les mêmes conneries, se regarder le matin dans la glace, ne pas vouloir être président, mais la meilleure personne possible, ne pas se raser, non, juste essayer d’être quelqu’un de bien.

Chimères, allez. Chimères.

Ou pas.

J’ai repris mon scooter, je suis rentré chez moi. Embrasser mes amis.

Quelque peu chamboulé.

Rue des petits hôtels, je me suis arrêté à un feu pour allumer une cigarette.

Là j’ai vu deux personnes, sur une bouche d’aération, dans la rue, qui dormaient.

La température à Paris, rue des petits hôtels, était de moins huit degrés.

Je suis rentré chez moi, en scooter, j’avais froid, mais bizarrement je m’en foutais.

J’ai composé le 115.

“Bonjour, ai-je entendu. Compte tenu du nombre d’appels importants, toutes nos lignes sont occupées. Merci de bien vouloir renouveler votre appel ultérieurement.”

J’ai raccroché.

Bon.

Je rappellerai ulérieurement, me suis-je dit.

ADDENDUM/ Il est trois heures de matin, et cela fait trois heures que j’essaie de joindre le 115, que je tombe sur le même message… Je… ne sais pas… Peut-être que deux personnes sont en train de mourir de froid sur une bouche d’aération, place Franz Liszt, rue des petits hôtels, peut-être que non, j’espère que non – mais je sais dorénavant que le 115 c’est de la merde, c’est tout faux, tout abject. Je ne sais pas si François Hollande et les siens feront mieux, mais je voterai pour lui. À tous les tours, de tout mon cœur. Moi qui ne vote mais tellement pas.


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3 commentaires

  1. Vinvin dit :

    Tout pareil.

  2. Bonjour,

    Je vous découvre que depuis quelques mois (grâce aux réseaux sociaux) et aujourd’hui, j’ai simplement envie de vous dire que j’aime votre plume…et vos billets d’humeur sur la vie sur ce blog…je partage vos idées..poursuivez…même si vous n’êtes pas forcément entendu…il est important (comme vous le dites si bien), d’essayer d’être simplement bon et bienveillant à l’égard des autres…

  3. Carine dit :

    j’ai repensé aux mots qui tournent en ce moments sur les murs fb « si le 115 est saturé, appelez le 112… le 18 en dernier recours ». suis rentrée chez moi, j’ai fait les 3, ressortie le voir, qu’il ne soit pas seul à mourir en silence. et j’ai hurlé

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