Du luxe
Je viens d’écrire ces quelques phrases : “L’inconfort est un luxe en matière artistique. Les œuvres les plus abouties, celles que l’on considère majeures, se sont souvent faites dans le chaos. C’est ce chaos qui nous révèle. Le manque de temps et de moyens, cela nous fait rager, et de cette rage, de cet inconfort, naissent les idées.”
Mais pourquoi donc ai-je écrit ça ? Que cela soit vrai ou non.
Pour ma défense, j’étais ces derniers jours à Avignon. Cela n’excuse pas tout.
J’ai écrit ce petit texte, dont ces phrases font partie, pour un livre à paraitre – je ne dirai pas lequel, je n’y tiens qu’un rôle très secondaire. La question que l’on me posait était très compliquée, amphigourique, inrépondable : j’ai résumé à ma manière.
“L’inconfort est un luxe” !? Mais tais-toi donc !
Les gens disent et écrivent beaucoup de conneries, quand même. Je ne m’abstrais pas. À Avignon, par exemple, dans le théâtre, il vous suffit de lire les notes d’intention de certains metteurs en scène pour pouffer – et je veux bien ne pas relire les miennes, et j’ai lu le programme en entier. Cela me rappelle cette méchanceté gratuite de Desproges. “Marguerite Duras n’a pas écrit que des conneries. Elle en a filmées, aussi.” Évidemment qu’il avait tort – sur les livres en tous cas, parce que les films… – mais le garçon avait ce don, ne pas se faire enfumer, garder l’esprit alerte, “ce qui se conçoit bien s’énonce clairement”. Et Dieu sait qu’il était brillant, brillant et cultivé, bien au-dessus du lot.
“L’inconfort est un luxe” !? Non mais ça va pas bien !
Pour ma décharge, je suis tombé il y a quelques jours sur une publicité pour une voiture avec Vincent Cassel. Je n’y connais strictement rien en voitures, je connais un peu Vincent Cassel. Nous nous croisions souvent il y a quelques années, avons bu quelques coups. C’était un garçon sympathique, déjà très bon acteur. Mais pourquoi cette publicité ? Il a l’air tout fâché dans cette publicité, il parle très fort, et assez faux, il y a des images de voitures, puis il hurle à la fin : “LE LUXE EST UN DROIT !”
Vincent, vraiment, sans déconner, regarde la définition du Robert.
LUXE n.m. Mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l’acquisition de biens superflus, par goût de l’ostentation et du plus grand bien-être.
Regarde les gens autour de toi, Vincent, peut-être plus autour, à côté, regarde comment les gens galèrent, comment c’est dur pour eux, regarde comme partout c’est la guerre. Et je ne parle pas de l’Afghanistan, de la Libye, de la Syrie ou de l’Irak, je parle d’un arrondissement à ta gauche, d’une ville en dessous, d’un bled pas loin. Les gens sont dans le besoin, dans le dénuement, dans l’inconfort. L’inconfort est une vraie saloperie, et le luxe on s’en branle, ce n’est le problème de personne. Nous ne disons que des conneries, Vincent. Comme tous ces grands metteurs en scène, dans leurs notes d’intention, avec leurs mots tout creux, leurs phrases toutes faites, leurs déclarations péremptoires et stupides. Qu’ils disent : “Je vais essayer de monter une belle pièce, je vais faire de mon mieux, j’espère que vous l’aimerez, et après on en parle”. Là je leur baiserai les pieds.
Ne fais pas de publicité, Vincent, vraiment, ou pour des choses décentes. Tu es un très bon comédien, tu travailles, tu gagnes très bien ta vie, les gens t’aiment : cela doit te suffire amplement. Et moi je n’écrirai plus ces conneries, je te le jure, je ne répondrai plus aux questions amphigouriques, je ne ferai plus mon malin. Travaillons, simplement, faisons de notre mieux, ce que nous savons faire, notre métier, et fermons tous un peu nos gueules.
ADDENDUM/ Demain 14 juillet. Les chars, à l’aube, passeront en bas de chez moi pour rejoindre les Champs. Chaque année ils font ça. L’impression d’être à Prague au printemps 68. Il faut que je déménage, vraiment.
« Les gens disent et écrivent beaucoup de conneries, quand même. » Curieusement, non pas toi justement.
Pourtant tu pourrais, étant donné tes activités, mais non, jamais. Aucune erreur. Juste cette grande humilité, si rare.
Quand j’ai vu cette pub j’étais choquée, vraiment! Etonnée de voir Vincent Cassel là dedans. Mais vous ne feriez jamais ça…
En regardant cette pub, j’ai explosé de colère, sous l’oeil sidéré de mon… de l’homme que… enfin du mec qui partage ma… heu, quoi, au juste? Ma vie?…Merci bien, j’en ai qu’une, je vais pas me mettre à la partitionner. Alors quoi? Mes jours? Mes repas? (rions un peu). Mes nuits? Pas toutes : Deux chambres, on a. (Aaah!!!! Le voilà, le vrai luxe! Moi aussi je sais faire ma petite Ariane Deum).
Disons que ce commentaire est mal parti à cause du mot « partage » pour définir l’homme à l’oeil sidéré. Où en étions nous? ( Voyez où ça « noumène », un mot engagé un peu à la légère?). Cassel.
Voui, Cassel. J’ai explosé de rage, puis je me suis rassis et j’ai murmuré à mon… enfin bon, you know who : « C’est honteux, ce qu’il vient de faire ». En désignant la télé du menton.
Beaucoup plus que la rage, c’est le mot « honteux » qui l’a fait tiquer. Je prononce rarement ce mot-là. Surtout avec cet air-là
Finalement c’est ça qu’on partage! (Dieu merci, j’arrive). On partage une pub merdique, avec quelqu’un qui vous connaît assez pour savoir que cette pub vient de vous enfoncer une punaise dans le coeur. Et ça, ça lui cause un petit chagrin.
Pour le reste oui et non.
Oui, travailler sans moyens c’est être sûr de ne pas laisser son idée se « divertir » dans le le choix luxueux des possibles; c’est s’y tenir les dents serrées. Les fesses aussi.
Non, les notes d’intentions ne me font pas pouffer. C’est touchant, ces petites explications qui sonnent comme un aveu de « Tout ce que vous ne verrez pas ce soir, parce que je suis un peu passé à côté, pour tout vous dire »…
C’est dur, ce métier. Pas la peine d’en rajouter.
Alors vous!… J’avais décidé de ne plus vous commenter. Jamais. En mesure de rétorsion à j’sais plus quoi, au juste. Une petite crise de désenvoûtement, quoi. Et puis tchac! Vous parlez de Cassel et sa pub. Et patatras, je vous re-parle!
Peux pas résister. Aucune dignité.
Cette pub n’est même pas obscène, elle est d’un e idiotie et d’une démagogie rare.ayant travaillé un peu dans la pub en production, j’ai connu des choses pas racontables, .. Aujourd’hui la voiture est une espèce d’être humain qui est là pour vous offrire leluxe (on s’en fout) et une sorte de dignité sociale « style », en fait ils vendent une bagnole qui n’est pas vraiment sublime, mais qui a l’air; de la haute couture à prix pret à porter. Vous m’amusez un peu en prêtant à Vincent Cassel, très sympa par ailleurs une morale rigoureuse . ce garçon « sympathique » qui est parfois excellent dans certain films, y voit comme les autres un moyen « chic » de se faire beaucoup de fric, ce qui lui permettra c’estle message en général de faire des films sans argent. . Ce qui me tue, c’est ce texte minable qui se veut révolutionnaire. Le prix à payer pour être bien payé , vous ne verrez jamais cela dans un pub anglaise. premettez vous, il y aura il y aura une autre encore pire. … parce que vous le valez bien… !!! Mireille
« Le luxe est un droit », message hyper ciblé à l’attention des pères de famille, travaillant pour élever leurs enfants, message porté par Vincent Cassel, un mec bien devant certainement aussi travailler pour élever ses enfants.
Le luxe est aujourd’hui une industrie.
Espérons que la littérature et la création artistique ne suivent pas ce chemin. Je vous rejoins sur l’inconfort dans la création artistique, je vous rejoins quelques secondes puis je vous quitte en faisant la vaisselle : Ecrire, créer, c’est voler du temps. Dérober, grappiller du temps à la vie quotidienne. Prendre sans autorisation quelques secondes au travail, quelques minutes aux courses chez Monoprix. Chaparder quelques heures au ménage et au repassage. Rogner du temps aux amis. Voler puis rendre aux autres ce temps sous forme écrite.