Théorikon
On dit souvent que le théâtre est très cher, et c’est vrai, mais qu’on ne se méprenne pas, dans la Grèce antique aussi, l’entrée des théâtres était payante – même si le prix restait très abordable. Un grand homme d’état de son époque, Périclès (voir marbre blanc ci-contre), grand promoteur des Arts, eut vers moins 400 et quelques avant Jésus Christ Superstar l’idée d’attribuer un fonds spécial afin que les plus pauvres puissent également avoir accès au spectacle – en gros les pauvres ne payaient pas, et l’État remboursait les théâtres du manque à gagner. Ce fonds s’appelait théorikon. (Notons que, selon certains historiens, le théorikon fut créé par Cléophon, et non par Périclès – mais on s’en fout – et d’aucuns vont jusqu’à prétendre que mon pseudo homonyme Démosthène, pour qui j’avais jusque là du respect, fut l’abruti qui décida quelques années plus tard de consacrer l’argent du théorikon non plus à l’art mais à la guerre).
Introduction pour le moins absconse, je vous le concède, et ce n’est que le début.
Car je ne vous cache pas que je dévore depuis quelques jours un petit opuscule de 1998 pages intitulé “Les Tragiques grecs” (Éditions La Pochotèque), genre de pavé qui n’intéresse à priori personne, incluant le théâtre complet d’Euripide, Eschyle et Sophocle, et qui, très bizarrement, me fascine plus que la plupart des œuvres de mes contemporains, et je ne citerai pas de noms, ou en messages privés.
C’est dans ce livre, par exemple, que j’appris que le mot “théâtre” venait du mot grec théatron, nom donné à l’ensemble des gradins, qui signifie “lieu d’où l’on voit” – à ne pas confondre avec “orchestre”, soit orchestra, “lieu où l’on danse”. À placer dans un dîner itou, notons que le mot “métèque” vient lui aussi du grec, métoikos, dénommant à l’origine les étrangers de passage à Athènes, bienvenus eux aussi au théâtre, et qui veut dire “celui qui a changé de maison”. Je vous laisse méditer l’info.
Pour bien comprendre les méandres de mon esprit tordu, il faut savoir qu’avant-hier, j’ai lu la déclaration du sieur Laurent Wauquiez, ministre des Affaires Européennes, mid-trentenaire d’un abord affable, avec un petit défaut de prononciation, et les cheveux qui ont blanchi d’un coup, cofondateur de la “Droite Sociale” (pouf pouf). Il disait – et je ne veux pas déformer ses propos – que les bénéficiaires du RSA étaient trop rémunérés par rapport à ceux qui travaillent, et que cette différence, selon lui minime, était le cancer de la société française.
Le cancer, oui.
Pour des raisons d’ordre privé – mais ô combien communes, le fait que cet andouille utilise le mot “cancer” comme une image me donne envie de baffer. Je ne sais pas si Laurent Wauquiez sait ce qu’est le cancer, je ne lui souhaite pas, qu’il reste andouille, mais cela est tellement idiot, insupportable, choquant. Je ne sais pas non plus si ce monsieur, qui est quand même ministre, a la moindre idée de comment peut-on être vivre aujourd’hui en France avec le RSA. Pour le coup, là je suis sûr qu’il ne sait pas, qu’il n’en a pas la moindre idée.
Je ne vais pas la ramener avec mon Rocard – qui a créé le RMI – seul homme politique, je l’ai déjà dit, ici ou ailleurs, pour qui j’ai voté un jour, mais cet homme, à l’époque, avait une vision, une certaine idée humaniste de la France. Je n’ai pas voté depuis quinze ans, mais je vous jure que je voterai aux prochaines élections, que je voterai à gauche. Que je ne veux plus, jamais, entendre les conneries de ces gens qui nous dirigent, et que j’exècre, quitte à en entendre d’autres, de la part d’hommes et de femmes qui m’ont toujours déçus. Je voterai à gauche pour Périclès. Je voterai à gauche pour le théorikon. Je voterai à gauche pour que, toujours, ceux qui n’ont pas d’argent puissent aller au théâtre. Que plus personne, jamais, n’utilise le mot “cancer” pour se faire remarquer. Que plus personne ne désigne les métèques comme des boucs émissaires. Que plus personne n’ait l’air de dire que les pauvres le font exprès.
ADDENDUM/ Non.
Merci.
<3
Quand on me dit que la différence entre le RSA et le salaire est trop faible, la seule chose qui me vient à l’esprit c’est que, dans ce cas, il faut augmenter les salaires…
Merci pour cette humanité que tu glisses dans chacun de tes articles. C’est rassurant et plein d’espoir de voir qu’il existe encore des artistes qui tendent à résister. Merci pour tes écrits qui me rappellent le vrai sens de l’existence.
Bonjour,
Je fais des recherches pour un exposé sur les riches et les pauvres durant la Grèce classique et c’est en cherchant davantage d’infos sur le théorikon que je suis tombée sur cet article.
Pertinent, je dois dire, de faire le lien entre la démocratie athénienne et celle d’aujourd’hui. La nôtre est plus moderne, mais finalement, si l’on regarde de près, rien n’a changé : il y a toujours une élite (financière, politique, intellectuelle) qui se bagarre pour rester au pouvoir tandis que les plus modestes servent d’amortisseurs.
Je trouve par exemple honteux le prix d’une place de cinéma, de théâtre, de spectacles et de concert ! En ces temps de crise, certains vont l’impasse sur la culture – ils n’en ont pas les moyens. Aussi, rappeler que durant l’Antiquité, la pauvreté n’était pas toujours une fatalité et que l’on peut lutter pour toujours plus de participation politique, est une façon de remettre en question notre système. Nous avons de quoi l’améliorer !
Merci pour cet article,
Petite Pèche