Romanesque
Une jeune femme d’une trentaine d’années m’a dit cette phrase il y a une heure : “J’ai un très bon ami qui a 73 ans, il faut absolument que je te le présente. C’est un type extraordinaire, il est complètement fondu, il fume de l’opium toute la journée. Aujourd’hui il est à la retraite mais c’était mon gynécologue quand j’avais 15 ans.”
J’adore tout dans cette phrase. J’adore son romanesque. J’adore le romanesque.
J’adore et, en même temps, j’aimerais bien que le romanesque me lâche, qu’il m’oublie. J’aimerais bien un peu de calme, du train-train, goûter l’usure du quotidien, voire s’emmerder à deux, essayons. Depuis un certain laps, je ne m’emmerde pas à deux, ma vie privée est romanesque, il se passe toujours quelque chose, quelque chose que l’on n’attend pas. C’est très pratique pour mon travail, je ne dis pas, intarissable source d’inspiration et d’insomnies. Je ne suis pas pour autant une victime, loin de là, je suis le responsable, à bien 50%, et parfois près du double. Mais quand même. Une petite tisane, un bouillon, le journal de 20h, se coucher après le film, une cinquantaine de pages d’un roman victorien, petit bâillement, petit bisou, bonne nuit mon chat, bonne nuit mon coeur, tu penseras à mettre le réveil ?
Je l’ai vécu, j’ai oublié. J’en rêve parfois.
Ma soirée d’hier, par exemple, fut vraiment romanesque. Mal démarrée, bien poursuivie, atrocement terminée. Nuit horrible, à ne pas dormir, à transpirer du vin blanc par les pores, et chasser les cauchemars à l’arc et à la flèche. Je ne supporte pas le vin blanc, ça ne me réussit pas, il ne faut pas que j’en boive. Je n’en bois heureusement que très rarement, mais comme un con cela m’arrive.
Zéro heure de sommeil plus tard, trois kilos d’eau en moins, et pas la moindre page lue d’un roman victorien, je me suis levé. Après avoir essoré les draps, pris deux Advil, et ranger le Bronx du salon, j’ai enquillé des rendez-vous.
Cela, aussi, ne m’arrive plus souvent, mais enquiller des rendez-vous avec une gueule de bois au vin blanc est une chose à ne pas faire dans la vie. Il ne faut pas. Qu’on l’apprenne aux enfants à l’école, qu’on l’écrive au fronton des mairies : Liberté–Égalité–Pas de Vin blanc.
Mon premier rendez-vous était avec mon agent, nous avions beaucoup de choses à nous dire. Il y avait une liste, il détaillait chaque point, très concerné, pleine forme. Et moi je pensais essentiellement à ne pas m’évanouir, garder les yeux ouverts, dire de temps en temps “Oui“, “Tu es sûr ?”, “Ça je suis bien d’accord avec toi”.
Je suis ensuite rentré chez moi, pensant dormir une ou deux heures. Mais non. Du coup, j’ai fait une autre chose romanesque, j’ai écrit une longue lettre, dont je ne peux dévoiler la teneur, mais vraiment très très très romanesque. Même trop, ai-je envie de dire. Puis je suis parti à mon second rendez-vous.
C’était au Centre National de la Cinématographie, un très bel immeuble. Nous passions avec mes producteurs devant une commission d’attribution d’aides, pour un film que j’espère réaliser cet été. Il y avait dans le jury des gens très respectables, un éditeur influent, deux producteurs connus, une réalisatrice douée, plus deux ou trois autres personnes que je ne connaissais pas. Nous étions assis, mes producteurs et moi, en rang d’oignons derrière deux tables, face à l’assistance réunie et qui avait pour tâche de nous questionner sur le film. À peine m’étais-je assis que je sentis gronder en moi une haine conjuguée du vin blanc et de moi-même. Je décidai de ne pas retirer mon manteau, suintant du Petit Chablis par le dos, lorsque, très poliment, l’éditeur se tourna vers moi et me posa sa première question concernant le scénario. Il s’agissait du romanesque, il tenait à ce que je leur en parle. Cela m’est venu naturellement.
ADDENDUM/ Deux jours ont passé. Ma productrice vient de m’appeler pour me dire que l’aide nous avait été attribuée. Je me souviens d’une phrase de mon père: « Le vin, c’est bon pour tout ». À mon prochain rendez-vous professionnel important, c’est décidé, je serai ivre-mort.
Dia , c’est le jour en espagnol, bravo pour l’avance sur recette,mon corps fabrique en ce moment une euphorie, qui est très proche des amphés. Je commence Angéliquei dimanche, et j’ai un rendez vous important mardi. Je ne parle que de travail, intoxiquée. Je finis sur une note romantique, mon boy friend $ m’a appellé de New York pour me dire en français dans le texte : je t’aime, je t’aime, je t’aime. Les américains sont peu démonstratifs sauf dans les films. prends soin de toi. A très vite. Mireille A.