Trouville (suite)
Dans mon premier roman, Les Papas et les mamans, il y avait une histoire qui s’appelait Trouville. Le héros avait 14 ans et il rêvait d’emmener son amoureuse à la mer, mais le monde les en empêchait, le monde était contre eux. Quand on rêve d’emmener son amoureuse à la mer je crois qu’on a toujours 14 ans. Il y a beaucoup de vieux couples, à Trouville, ils déjeunent au Central, ne se parlent que très peu, ils observent les passants en se tenant la main. Si vous regardez bien, beaucoup ont 14 ans.
Quand j’ai écrit ce livre, je n’allais pas à Trouville, je connaissais très mal, c’était le nom qui me plaisait, Trou/Ville. Par la suite j’y suis beaucoup allé, d’abord chez des amis, pour de très longs weekends, quelques semaines de vacances, d’écriture, puis ma mère y a pris un petit appartement. Je me suis mis à aimer cet endroit. Je connaissais les commerçants, le marché aux poissons (avant qu’il ne prenne feu et qu’on ne le reconstruise), la vieille vendeuse de pulls marins, la meilleure pâtisserie de la ville, le meilleur boulanger, le meilleur boucher, le tabac ouvert jusqu’à minuit.
Depuis quelques années, je n’y vais plus que rarement. Ma mère a revendu son appartement, elle en a pris un autre, de l’autre côté du pont, chez l’ennemi juré, à cinq minutes à pied de la gare – ce qui lui évite de marcher trop longtemps, de prendre par la rue des Bains, de grimper la rue de la Cavée. J’y ai bu un verre l’année dernière avec les troubadours en sortant d’un spectacle, et j’y ai dîné quelques soirs, il y a deux ans et demi, quand j’ai fait juré au festival de Deauville. Il y avait plein de vedettes, c’était aux Vapeurs, pas le Trouville de mon roman.
Quand on a envie d’aller à Trouville on a toujours 14 ans. J’ai envie d’aller à Trouville depuis de nombreuses semaines, j’ai envie de voir la mer, j’ai envie de me baigner. Même Deauville je suis d’accord, la Bretagne, Etretat, Le Touquet, des plages simples d’accès. Je ne me suis pas baigné depuis Kersidan, mes trois jours de vacances depuis vraiment longtemps. C’était en août dernier. Et l’eau est vraiment froide à Kersidan. Même en août.
Quand on est capable de se baigner dans de l’eau vraiment froide on a toujours 14 ans. Et puis l’âge ne compte pas. J’ai lu une jolie phrase récemment, ne me demandez pas où : “Un homme a toujours l’âge de la femme qu’il aime”. C’est une image, bien sûr. Parce que si elle a 14 ans c’est un peu ennuyeux, surtout si vous ne les avez pas. C’est une blague que je faisais dans des dîners il y a quelques années, une blague d’un goût très discutable, c’était l’époque où l’on parlait beaucoup pédophilie à table. J’attendais que tout le monde donne son avis, j’écoutais, je ne disais rien, et à un moment je plaçais, nonchalant : “Vous savez, ce sont des choses qui arrivent. Moi aussi j’ai couché avec des filles de 14 ans.” Le silence qui s’installait était assez savoureux, tous les regards se tournaient vers moi. Avant qu’ils ne me foudroient vraiment, j’ajoutais : “Mais j’avais 14 ans aussi.” Là un grand ouf de soulagement, quelques rires, puis un silence encore. Les gens qui mesuraient la portée de mon propos, se demandant si je n’avais pas derrière la tête comme une espèce d’envie d’excuser ces criminels, de relativiser leur crime. Mais il n’y avait pas de portée philosophique ou sociétale au propos, c’était juste une blague, et un fait. Quand on aime dire des grosses conneries à table, on a toujours 14 ans.
Je ne donnerais pas une main, un bras, pour être à Trouville ce weekend. Mais je serais prêt à donner quelque chose, et pas seulement l’argent du train, même quelque chose d’assez précieux. Je pourrais faire comme si j’avais vraiment 14 ans, je pourrais me vêtir chaudement, mettre deux paires de chaussettes, monter sur mon scooter, prendre la Nationale et rouler deux cents bornes. Je pourrais faire comme Simon, avec sa mobylette, quand il rejoint Lucie à la mer. Mais il est minuit et demi, j’ai un rendez-vous demain à onze, il fait cinq degrés sur la route. J’irai me baigner à la piscine, alors, en sortant de mon rendez-vous de demain, et j’irai à Trouville plus tard, le weekend prochain, ou celui d’après, à la saint-glinglin.
C’est ce que les gens raisonnables se disent, ce que les adultes doivent penser. Il faut être raisonnable, il faut être adulte. Quand je serai grand je le serai. Juré.
ADDENDUM/ « Mon réveil devait sonner à 9h, mais il n’a pas eu le temps. Car c’est le tremblement de terre de 7h30 qui s’en est chargé/ Des tréfonds de mon rêve je suis soudain revenu dans mon lit, à cause des secousses de l’hôtel, à me demander si la chambre 3003 n’allait pas bientôt être transformée en carrefour de Shinjuku, 30 étages plus bas/ C’est quand même vachement mieux qu’un vulgaire réveille-matin ». Richard Brautigan, « Journal japonais ».
Ce fut mon plus bel été. Années 80; j’avais 14 ans..sur la plage de Trouville je tombais amoureux pour la première fois…la fille de la concierge. Inoubliable jolie blonde normande; un peu fermière, un peu sauvageonne que j’embrassais un 14 juillet sur les planches devant le Trouville-Palace. Ma première vraie pelle..
Ca ne dura pas très longtemps mais j’en rêve encore.
Et j’y retourne depuis toujours imprégné de cette grâce adolescente.
Merci pour ce joli post
quand je serais grande, j’aurai 14 ans… c’est ce que j’aurais dû me dire plus souvent … c’est ce que j’essaie… un peu..
bises k
Mer moins froide à Kersidan qu’à Trouville… Mais quand on a 14 ans, on dit : « elle est super chaude » quel que soit l’endroit, on se jette dedans en courant, on se baigne même sous la pluie, téméraire. Puis on vieillit, sans s’en rendre compte, et la mer, on la trouve de plus en plus froide, alors que sa température, elle, ne change pas.
Avez-vous trouvé la ville ou
le trou où il fait si bon se lover
à 14 ans on a toujours chaud c’est … hormonal!
cette sensualité sur nos corps en éveille, ce contraste de température…facile d’avoir à nouveau 14 ans
se jeter à l’eau!