Le sens de l’orientation
J’ai dit que je ne parlerais pas de choses trop intimes dans ce blog mais je ne comprends vraiment rien à Issy-les-Moulineaux ni à Vanves. Je comprends Colombes, La Garenne, Courbevoie, même Asnières. À force d’aller y faire du théâtre je connais Fontenay-sous-bois comme ma poche. Ou Clichy, Levallois, des villes simples. Mais Issy-les-Moulineaux, Vanves, Malakoff, non, vraiment, je ne comprends pas.
À chaque fois que j’arrive à Corentin-Carton et que je tourne à Voltaire pour prendre rue Charles-de-Gaulle, je ne sais pas ce qui se passe, je me retrouve toujours après la station service, et je suis obligé de me taper 500 mètres de la rue Félix-Potin en sens interdit pour pouvoir arriver par derrière.
Guy me dit que c’est parce que je tourne beaucoup trop tard, il faut que je tourne beaucoup plus tôt, il me le dit à chaque fois ! Je suis complètement d’accord avec lui, en plus : je suis débile, je sais, je tourne beaucoup trop tard ! Seulement je ne tourne pas. Je me retrouve après la station-service, et je me tape le sens interdit.
Gégé, qui est plus magnanime, met ça sur le compte de mon esprit volatile : “Ça c’est parce que tu penses à autre chose, à une pièce ou un livre.” Puis elle ajoute, en bonne mère de famille : “En scooter c’est super dangereux, tu arrêtes ça tout de suite ! Quand tu conduis, tu ne penses à rien d’autre qu’à la route. La littérature, le théâtre, quand tu roules on s’en fout.”
Je pense à la route, je te jure, ma Gégé, seulement je n’ai plus le sens de l’orientation. Pendant des années je l’ai eu. J’ai parcouru des dizaines de milliers de kilomètres, j’étais un parfait copilote, je ne me trompais jamais, et un jour ça a disparu. Je m’en suis foutu, je crois. J’ai pensé à autre chose.
Pour le parisien intra-muros ayatollesque (pléonasme), se perdre dans des banlieues lointaines peut ne pas sembler très étrange, cela va de soi, même. Or il se trouve que j’en viens, moi, de ces banlieues lointaines. Sans aller jusqu’à les respecter, disons que je ne les méprise pas. Et je m’y perds, c’est tout nouveau.
À Paris, à vrai dire, ce n’est pas très différent – pourtant j’habite dans le 17ème, soit loin de tout, depuis une bonne douzaine d’années. J’oublie le nom des rues, des places, des métros. “Rue de Rivoli, tu me dis ? Tu es bien sûr que ça existe ?” Une fois sur place je me rends compte, évidemment, je ne connais que ça. Ou je me repose sur la personne derrière, je hurle dans mon casque : “Tu me dis où tourner, hein !?”
Je viens d’un peu exagérer, mais pas tant. Combien de fois ai-je regardé sur un plan où était la place Gambetta, alors que je ne connais qu’elle. Idem pour la place Voltaire, la rue du Faubourg Saint-Antoine, même Oberkampf j’ai mis des années à situer, alors que je passais dedans tous les jours. Ce n’est pas un début d’Alzheimer, je ne pense pas. Parce que je retiens nombre de choses, voire de choses totalement inutiles. Des vieux numéros de téléphone, des vieux numéros de code d’immeuble, des vieux numéros de cartes bleues. Et ceux qui me connaissent bien vous le diront, les chiffres ne sont pourtant pas mon fort.
C’est mon problème avec la géographie, je pense. À l’école je détestais ça, pas un cours que je n’ai tant séché, ai dû avoir genre 3 au bac. Je me fous des endroits ou des lieux. Je me fous des villes et des pays. Paris, la France, très bien. J’y habite, j’y suis né, mais très sincèrement je m’en fous. Seuls les gens m’intéressent, et je me moque d’où ils viennent, où ils habitent, où ils sont nés. Je n’ai pas l’esprit grégaire, je hais le communautarisme. Je ne retiens les lieux que lorsque des gens que j’aime y habitent.
Ma carte de Paris n’est pas peuplée de stations de métro mais de personnes. C’est une carte du Tendre, au sens large du terme. Je ne vais pas de la rue des Abbesses à l’avenue Parmentier, je vais d’Alex à Christophe, en passant par Andréa, là où habitait Judith, Béatrice, Olive, l’ancien bureau de Marie, et je tourne juste avant Jessica et Pierre.
Rouler dans Paris en scooter est un voyage sentimental. C’est pour ça que je me perds à Vanves, je n’y connais que Guy et Gégé. Balard, porte de Versailles ou Corentin-Carton sont des lieux qui n’existent pas puisque je n’y connais personne.
C’est une vision des choses discutable – d’ailleurs je ne discuterai même pas ; seulement c’est ma vision des choses. Il n’y a pas d’âge pour s’améliorer, pour changer sa vision des choses. Je compte vraiment m’améliorer. Mais dans ce domaine je ne sais pas. Disons que ce n’est pas une priorité.
ADDENDUM/ Pour information importante, l’excellent moyen métrage d’Olivier Jahan, intitulé T’embrasser une dernière fois, avec la non moins excellente Jeanne Rosa, et qui a gagné moult prix, passe cette semaine dans le poste. Notamment sur TSP Star, dans la nuit du mercredi 23 au jeudi 24 février, à 0h35 – séance de rattrapage le samedi 26 février à 7h30. Faîtes tourner les magnétoscopes (si quelqu’un a encore un magnétoscope). Le rater est péché.
Monsieur Diastème,
Rien de spécial à dire, sinon que je découvre votre blog aujourd’hui, ( en cherchant à acheter un nouvel exemplaire de « Les papas et les mamans » parce que je le prête et on ne me le rend pas, donc, j’ai décidé de le donner, c’est plus simple, il faut juste que je fasse un petit stock ! )
Pour un type de la France profonde, ces noms Parisiens sont aussi exotiques et évocateurs que ceux des terres lointaines, Issy les Moulineaux, c’est comme Pondichéry ou Calcuta, c’est comme le Mozambique ou le Guatémala…
Celton. Corentin Celton. Pas Carton…
Est-ce que c’est pas ça couper le cordon: perdre la mémoire et tracer son propre chemin…
La banlieue est une mère qui nous a posé sur le bord du trottoir…pendant qu’elle continuait à arpenter.
(ça doit être signe de bonne santé mentale de se pommer)