En Beauté

Il porte une espèce de petite barbe blanche, un bouc, son œil dévie plus que d’ordinaire. Il a les traits tirés, le vent soulève une de ses mèches : “Oh, ce n’est une surprise pour personne, dit-il. J’ai voté pour Martine Aubry.” Puis il monte dans une voiture noire, quitte ce bureau de vote à Sarcelles. À quoi pense-t-il dans cette voiture : que cela fait vraiment cher la pipe ? qu’il aurait dû se raser le bouc ? que Martine Aubry aura du mal ? qu’il aurait fait 60% ?

Quelques heures plus tard, vers minuit. Ségolène Royal se trouve dans son QG de campagne, entourée par ses partisans. Une caméra la filme, elle a le visage décomposé. “C’est assez dur, dit-elle. Parce que c’est beaucoup de choses données et beaucoup de déception…” La voix s’étrangle, les yeux se mouillent, les mâchoires se crispent et se tendent, elle tente de retenir cette bouffée de larmes en train de monter. “Pour tous ceux qui m’ont soutenus c’est très dur.” Les larmes coulent, les larmes gagnent, elle essaie de sourire pourtant, dit quelque chose qu’on ne comprend pas, on entend juste le mot “fatigue”, couvert par les “Merci Ségolène” de ses fans. Elle s’éloigne du micro en souriant, le visage noyé sous les larmes. Va-t-elle retrouver ses enfants ? Ou bien sont-ils avec leur père ? A-t-elle quelqu’un dans sa vie en ce moment, quelqu’un qui l’aime, et qui pourra la consoler ?

Nadine Morano, au même instant, est invitée sur LCI : “Le seul fait important du jour, dit-elle, c’est le voyage de Nicolas Sarkozy à Berlin”. Elle dit cette phrase très sérieusement, comme tous les gens qui mentent, semblant convaincue par sa phrase, sûre d’elle. Le contraste est assez étonnant, toutes deux savent bien qu’elles viennent de perdre, mais seule l’une des deux ne ment pas. Pour la première fois depuis très longtemps Ségolène Royal ne ment pas, ne se ment pas, elle pleure, elle n’a rien d’autre à faire ni à dire, juste pleurer. Et il aura fallu ces larmes pour que cette dame me touche enfin.

Quelques heures plus tôt, en Bretagne, une femme ouvre la porte d’une maison sur laquelle un papier est scotché avec inscrit dessus : “N’ouvre pas, appelle la police”. Mais la femme ouvre, ne peut pas s’empêcher d’ouvrir. À l’intérieur, elle découvre le cadavre de son compagnon et de leurs deux petites filles, que celui-ci a tuées avec un revolver avant de se suicider. La femme referme la porte, elle appelle la police.

Encore plutôt tôt, à 7 heures du matin dans l’Essonne, une jeune policière de 28 ans qui fêtait son anniversaire a tué son compagnon, policier également, avant de retourner l’arme contre elle. Il s’appelait Ludovic, elle s’appelait Maryline. Le 22 septembre dernier, trois policiers s’étaient également suicidés en moins de deux heures. Une sale journée.

Dominique Strauss-Kahn et Ségolène Royal ne seront jamais présidents de la république ; si François Hollande ou Martine Aubry remporte la présidentielle l’an prochain, Nadine Morano sait que sa traversée du désert va être longue, très très longue ; deux millions et demi de personnes sont allées donner un euro pour désigner un vainqueur au premier tour d’une élection primaire ; un homme a tué ses deux petites filles puis s’est mis une balle dans la tête ; une femme a tué son amoureux puis s’est mise une balle dans la tête.

Drôle de dimanche, plutôt pluvieux, avec des températures de saison.

ADDENDUM/ Photo prise cet été à Kersidan. Je ne sais plus à qui appartenait ce sang, l’un d’entre nous, peu importe. Je l’aime beaucoup.