Money time
Je lisais récemment le recueil des entretiens que Bernard-Marie Koltès a accordés au fil de son existence (“Une part de ma vie”, Éditions de Minuit). Vers la fin du livre, donc vers la fin de sa vie, Koltès – qui était alors un auteur très joué, en France comme à l’étranger – avoue ne gagner que 10.000 francs par mois, “un salaire équivalent à un petit cadre de banque”, ajoute-t-il, sans que cela semble lui poser souci. Il ne s’enrichira vraiment qu’avec sa dernière pièce, “Le retour au désert”, jouée dans le privé avec Maillan et Piccoli, mais n’aura malheureusement pas le temps d’en profiter.
Quand j’étais jeune observateur de ces métiers artistiques, c’est une question que je me posais souvent : comment les artistes gagnaient leur vie quand ils ne travaillaient pas. Je ne pensais pas aux vedettes, aux salaires indécents des acteurs étalés dans la presse, je pensais à Leos Carax, par exemple. Je me demandais de quoi Leos Carax vivait quand il ne tournait pas pendant huit ans – sachant que ses films, en plus, ne faisaient pas des millions d’entrées, ne passaient pas souvent à la télévision. Exemple mal choisi, évidemment, puisque j’appris très vite que Carax (pour qui j’ai beaucoup d’estime) était héritier d’une grande famille française régnant sur le textile mondial.
En ce qui me concerne, en abandonnant la presse, j’ai également abandonné les très confortables salaires qu’on me versait tous les mois (je travaillais alors pour plusieurs magazines). Je venais de signer plusieurs contrats, pour des livres et pour des scénarios, je n’ai pas pensé une seconde à l’argent. Les choses ne furent évidemment pas simples, et j’ai alterné, ces dix dernières années, périodes fastes et périodes maigres, sans que cela, pour autant, ne me fasse jamais regretter mon choix.
Mon rapport à l’argent n’est pas sain. Je ne suis pas né dans une famille aisée, mais les gens y étaient généreux. Rien ne me dégoûte autant que l’avarice, rien ne me dégoûte autant que l’argent. Je sais pourtant qu’il faut en avoir, en gagner, je sais qu’il résout nombre de problèmes. Je ne suis pas prêt à tout pour en avoir. J’ai refusé beaucoup de choses extrêmement lucratives au fil de ces années : écrire pour la télévision, ou faire de la publicité. Il y a quelques mois, dans une période vraiment très maigre, on m’a proposé quelque chose : écrire une espèce de petit conte, pour une marque de cosmétiques, en échange de 20.000 euros. J’avoue avoir dit oui, mais la chose ne s’est pas faite. Et je ne sais pas très bien pourquoi. Le projet a été annulé, ou ils ont choisi quelqu’un d’autre. Cela me soulage vraiment aujourd’hui. Je n’ai pas à en avoir honte. Je n’ai pas honte de grand chose sur ce point, je peux me regarder dans la glace, et je me fous qu’elle ne soit pas cerclée d’or.
Mon point de vue a changé, pour autant. Maintenant je veux gagner de l’argent, mais sans vendre mon âme ou mon cul pour autant. Je veux pouvoir aider ceux que j’aime, je veux pouvoir lancer mes projets au théâtre, je veux pouvoir rembourser mes dettes, je veux n’être tributaire d’aucun. J’ai la chance d’avoir des personnes qui s’occupent de l’argent pour moi, qui gèrent mes contrats, qui s’occupent de mes impôts, c’est un luxe assez inouï, appréciable. Et je ne suis plus très coulant sur ce point, j’ai laissé beaucoup faire, on me doit beaucoup d’argent – que je ne récupèrerai pas. Maintenant c’est terminé. Je vais être un chacal (dit-il).
Je peux vivre sans grand chose, je n’ai aucun goût de luxe, je me fous des montres ou des vêtements, des voitures (je n’ai même pas mon permis), mon vieux scooter me va très bien. Je ne dépense mon argent qu’à la Fnac (ayant récemment appris que la mienne siégeait dans un immeuble appartenant à la famille Kadhafi, je me suis même calmé sur ce point). J’aime inviter mes amis au restaurant, j’aime faire des cadeaux, j’aime partir de temps en temps en weekend, pas spécialement à l’Ile Maurice, la Bretagne ou la Normandie, Avignon ou Bruxelles me vont très bien, j’aime ne pas regarder le prix des choses, quand je fais les courses par exemple – cet ordinaire, qui est devenu un luxe, j’en suis plus que conscient.
Ne pas aimer l’argent est, je crois, une force dans mon métier. Ne pas en avoir spécialement besoin non plus. Quand je vois tous ces comédiens connus, qui ont la chance de beaucoup travailler, cachetonner dans des publicités, cela me dégoûte pour eux. Je suis assez ayatollesque sur le sujet, ou j’ai une haute idée de leur métier.
Si je pense à l’argent, c’est je dois présentement faire une des choses que je déteste le plus faire au monde – et que je dois faire une fois par an : préparer les papiers, les fiches, les notes, pour la comptable qui s’occupe de mes impôts. Cela fait des jours que je repousse, que je trouve autre chose à faire. Elle m’a dit qu’il les lui fallait demain. Cela me met d’une humeur de chien, il va falloir que je m’y mette. Problème de riche, vraiment.
ADDENDUM/ La prochaine fois, si vous le voulez bien, nous parlerons pole dance.
yes! pole dance! bises k
C’est incroyable juste tout ce que dis sur l’argent; je partage totalementton point de vue et le plus fort c’est qu’en tant qu’agent je passe ma vie à demander du fric aux gens beaucoup de fric. J’ai toujours choisi dans tout ce que j’ai fait, l’élégance, l’intelligence, comme toi je n’ai pas vraiment honte de m’être c ompromise. Ah oui, j’oubliais, en revenant du Japon , j’avais vraiment besoin de fric, du coup j’ai eu une commande de Ciné Revue.. Trois petits bouquins, sur des stars, Elvis Prestley, Grace Kelly et Romy Schneider, le livre sur Romy, je n’arrivais pas à le finir, je pleurais tout le temps.Comme toi aujourd’hui je veux vraiment gagner de l’argent, Angelique fera de nous des millionaires, si on faisait vraiment un remake, je te vois mal la dedans; Si tu regardes vite Roses à crédit, le sujet principal c’est l’argent, le paraître, une Bovary des années 50, trèstouchante. Dis moi quand même ce que tu penses du film. Je t’embrasse Mireille. PS Carla B. a filé pas de fric ) Alex Dupont ( mieux connu sou le nom de Leo Carax.
Tiens, c’est marrant, moi non plus je n’ai même pas le permis de conduire (à bientôt cinquante ans) ! Dans ma jeunesse, j’affirmais que lorsque j’aurais vraiment besoin d’une voiture, j’aurais très certainement un chauffeur personnel !!!
Ce qui pas !
Y’a pas de honte à travailler pour la télé si les décideurs laissent une vrai liberté, ce qui est est généralement le cas quand un projet est de qualité et qu’ils sont emportés par l’idée de faire un beau truc. La télé c’est pas sale en soi, tout dépend des rencontres et de l’équipe (prod – direct de fiction- scénariste) qui mène le bateau. Mais toi tu fais parti de la vieille génération, c’est pour ça que tu trouves que c’est sale. C’est vrai que les auteurs de ton âge ont du mal avec la télé, ils l’ont tjrs snobé comme un truc moche. Ils savent pas faire le va et vient entre elle et autre chose. Moi je travaille pour les deux : télé cinéma et même la pub. Ça me pose aucun problème éthique, j’y fais ce que je veux dans tous les cas. Et pour la télé, j’aime bien le principe de pouvoir toucher un maximum de public. Avec elle on est au minimum on est à 1 million 5 de spectateurs dans le pire des cas. Au cinéma, un film qui marche pas, c’est quoi ? 20 000 spectateurs voir moins parfois. Tout dépend de ce qu’on raconte mais moi mon éthique se situe dans l’idée de raconter au plus grand nombre et de pas snober les publics. Pour le reste sur l’argent, 1000% d’accord avec toi.